Batelier

 
 
La vie de marinier https://sites.google.com/site/patrimoinedeleau/home/le-metier-de-marinier

La plupart du temps, on ne devient pas batelier, on nait batelier. Dès l’âge de 5 ans, les enfants apprennent à naviguer sous la surveillance attentive de leurs parents. Pour devenir batelier, il faut un CAP et une expérience de la navigation, souvent avec les parents. C’est également fréquent que leur première péniche soit payée par les parents. Le marinier gagne peu malgré le nombre d’heures travaillées. De plus, les bateliers doivent verser une cotisation obligatoire. Il faut avoir le goût du voyage, de l’indépendance et de la liberté... Ce sont, en quelque sorte des « gens du voyage).

Pour les mariniers, le principal risque à bord est de tomber à l’eau, toujours présent, avec ses risques d’hypothermie lorsqu’il fait froid. Pour les enfants, surtout en bas âge, c’est le risque de noyade qui est le plus important. C’est pourquoi on peut attacher les plus jeunes grâce à un harnais, ce qui est parfois une mesure indispensable, même si elle surprend les « gens d’à terre ». Pour tous, le gilet de sauvetage peut permettre d’éviter le drame. Les câbles et cordages, maintenant en nylon) doivent être maniés avec beaucoup de précaution. Un pied qui se prend dans un câble, et c’est la chute assurée, voire une jambe coupée!

Il vaut mieux avoir le sens de l’équilibre et faire attention lorsqu’on parcourt les plats-bords (50cm de large) plusieurs fois par jour. En effet lorsque la péniche est à vide, elle est peu enfoncée et les plats-bords surplombent de 2,5 m le niveau de l’eau. La péniche elle-même est constamment soumise aux risques de la navigation. Celle-ci peut s’avérer particulièrement dangereuse par temps de brouillard lorsque ni les ponts, ni les autres bateaux ne sont visibles. De nos jours les recours au radar et au radiotéléphone sont appréciables. Pareillement, lors des  grands froids, la glace devient le pire ennemi du batelier. A moins dix degrés, il faut briser tous les jours la glace qui se forme autour du bateau pour protéger la coque lors du dégel. 

La vie domestique :

Vivre sur l’eau rend plus pénible les tâches de la vie de tous les jours. A chaque chargement ou déchargement, des poussières de charbon, de sable, de ciment ou de blé se déposent et il faut recommencer à faire briller les carreaux, les parquets et les cuivres qui font la fierté de la marinière. D’ailleurs, on n’entre jamais dans la timonerie ou la cabine avec ses chaussures ! Il faut également apprendre à s’organiser en fonction des horaires de navigation, de l’itinéraire, de la longueur du voyage, en particulier pour l’approvisionnement en nourriture et en eau. Heureusement, avec la mise en place de petites citernes sur la péniche, ce n’est plus la peine d’aller chercher l’eau à terre à la pompe à bras ! Le batelier fait des réserves de provisions pour plusieurs semaines car les écluses sont de plus en plus automatisées. Sur le bateau, le travail, les tâches domestiques et les loisirs sont totalement imbriqués. Polyvalente, la marinière participe, en plus des tâches ménagères, à tous les aspects de la vie à bord : navigation, manœuvres, chargements, entretien, comptabilité, gestion…elle est à la fois femme d’intérieur et matelot, parfois même capitaine et chef d’entreprise. Lorsqu’un marinier meure ou que le couple divorce, la femme peut se retrouver en situation difficile car les marinières sont peu considérées.  Quant aux enfants de batelier, ils étaient peu scolarisés malgré la loi de Jules Ferry qui imposait une scolarisation obligatoire (mais pas l’école !). Des instituteurs ambulants ont vu le jour dans l’année 1930 mais sans grand succès. Il faudra attendre 1954 pour que des écoles nationales d’enfants de mariniers apparaissent. Ce sont des internats et les parents bateliers passaient les voir au gré de leur route de navigation. Actuellement, avec les ordinateurs le suivi des études est plus facile.

L’entretien :

Outil de travail et lieu de vie du marinier, la péniche est l’objet de tous les soins. Pour elle, les mariniers deviennent menuisiers, peintres, mécaniciens, électriciens, plombiers… Avec la généralisation des automoteurs et des bateaux en fer, le marinier ne se bat plus contre les fuites mais contre les problèmes mécaniques et les risques de corrosion. La cale doit toujours être propre et étanche surtout lorsqu’on charge des produits dangereux comme les sulfates de fer, de cuivre ou d’ammoniaque. Les mariniers profitent de la belle saison ou de l’attente entre deux voyages pour donner un coup de pinceau par-ci, de pince à souder par-là… Au bout de quelques années, la peinture et le gazage de protection disparaissent et il est recommandé de mettre la péniche « en cale sèche » au chantier naval afin de réparer la partie immergée de la coque. Attendre la limite réglementaire de 5 ans, c’est s’exposer à des réparations beaucoup plus importantes et plus coûteuses. Les ouvriers des chantiers navals entretiennent et réparent les péniches. Il y a le chaudronnier qui s’occupe de la coque et des structures en fer, le soudeur, le mécanicien pour le moteur, l’électricien et le menuisier pour la timonerie et la cabine.

Le chargement et le déchargement :

Il n’y a pas si longtemps, charger des marchandises dans la péniche et les décharger prenait plusieurs jours. Il fallait une dizaine de jours pour transporter 300 tonnes de charbon dans la cale à l’aide de paniers appelés « mendes ». Le charbon ordinaire ne nécessitait pas de tels soins et on pouvait utiliser de longues glissières en bois, ou encore basculer des petits wagons de charbon dans la cale à l’aide d’entonnoirs, les « trémis ». Les produits agricoles étaient chargés à la brouette et il fallait 2 ou 3 jours pour les décharger …à la fourche ! Le marinier et toute sa famille s’activaient comme les autres. Aujourd’hui, les grues, les tracteurs et les glissières mécaniques simplifient le travail des mariniers et des dockers et limitent à quelques heures les opérations de chargement et de déchargement. Les marchandises doivent être bien réparties dans la cale pour éviter qu’une partie du bateau soit plus enfoncée. Pour charger des céréales qui s’écoulent d’un silo, le marinier doit avancer ou reculer son bateau pour les répartir, et même parfois effectuer un demi-tour pour équilibrer les côtés gauche et droit. Traditionnellement, ce sont les marchandises lourdes non périssables et peu fragiles qui sont transportées par voie d’eau : céréales, engrais, sel, substances chimiques, matériaux de construction, produits pétroliers, charbon, ciment, graviers et même des éléments de la fusée Ariane ou des réacteurs nucléaires…Aujourd’hui des matériaux plus fragiles (ordinateurs, télévisions…) sont aussi transportés par bateaux, dans des containers.

La navigation :

Avant le XIXème siècle, les bateaux ne comportaient pas d’espace d’habitation. Le marinier partait pour des voyages courts et rejoignait régulièrement sa famille installée à terre. Au XIXème siècle, le développement du réseau des voies navigables permet au marinier de faire des voyages toujours plus longs et plus lointains et toute la famille vient s’installer à bord. Les mariniers deviennent de véritables nomades. A l’époque des bateaux en bois, la cabine se situe au milieu de la péniche. Tout le mobilier utile est concentré dans ce petit espace de 20m carré : table, chaises, lits, poêle à charbon, cuisinière, armoire, penderie… Grâce à des trappes et des placards, chaque recoin est utilisé. La timonerie ou « marquise » est vitrée des quatre côtés ; on pouvait enlever le haut (quand il faisait chaud ou lors d’un passage sous un tunnel bas) mais si il pleuvait, tout était mouillé. Actuellement, il existe un système de ballastage pour passer sous les ponts. Dans les bateaux en fer construits au XXème siècle, la cabine est de mieux en mieux équipée. On y trouve en plus de la timonerie, une cabine avec deux chambres, une salle, parfois une cuisine avec un lave-linge, un réfrigérateur, une télévision, des radiateurs…L’alimentation électrique provient d’un groupe électrogène ou de la batterie du moteur qui fournit de l’électricité en 24 volts. Un transformateur permet de passer de 24 à 220 volts si nécessaire. Ainsi la cabine n’a rien à envier aux habitations « d’à terre ».

Le passage des écluses :

Jusqu’au XIXème siècle, le principal moyen de déplacement le long des rivières et des canaux est le halage. Cette méthode consiste à tirer un bateau depuis la rive avec une corde reliée au mât.
Le halage « à col d’homme » s’appelle aussi halage « à la bricole », d’après le nom du harnais attaché autour de la poitrine des haleurs. Ils avancent arc-boutés, ce qui leur vaut le surnom de « ramasseurs de persil » ! Lorsque le chemin de halage est suffisamment large, le bateau est halé par un attelage de chevaux, d’ânes, de mulets ou de bœufs. Parfois, il suffit de suivre le courant, ou lorsque le vent est favorable, de hisser une grande voile, la sémaque. Ces haleurs à la bricole avancent à une vitesse de 800m/h. Souvent le chemin de halage change de rive et ils perdent du temps à traverser le fleuve. Lorsque les péniches étaient halées depuis la rive, le marinier pilotait grâce à une barre horizontale qui lui permettait d’orienter le bateau.

Avec l’arrivée du moteur, la barre est devenue une roue, appelée « macaron ». Parfois un petit moteur situé à l’avant du bateau, le propulseur d’étrave, permet de mieux contrôler la direction. Enfin, dans la timonerie, le tableau de bord comporte de multiples appareils de contrôle, de mesure et de communication : manette en guise de macaron, boussole, compte-tours, thermomètre, ampèremètre, manomètre, sonar, radar, interphone… La navigation sur les canaux rectilignes, où se succèdent les écluses, est très différente de la navigation sur les fleuves et les rivières, au cours sinueux et irrégulier. Mais dans tous les cas, le bateau réagit lentement aux manœuvres : son poids et son inertie nécessitent d’anticiper les passages délicats et de ralentir plusieurs centaines de mètres avant d’arriver à une écluse ou de croiser un autre bateau (quelques dizaines de mètre si la péniche est vide). Au XIXème siècle, sur les fleuves et les rivières navigables, le halage laisse place à un remorqueur à vapeur qui avance grâce à de grandes roues à aubes puis grâce à une hélice (à partir des années 1860). Le moteur diesel remplace progressivement la vapeur à partir des années 1920. Ce remorqueur tire des convois de cinq péniches de 300 tonnes chacune. Certains remorqueurs pouvaient tirer jusqu’à 15 bateaux, par exemple sur la Seine entre Paris et Conflans-Sainte-Honorine. Pour passer dans certains canaux souterrains, on utilisait un toueur à vapeur, ce qui obligeait les bateliers à supporter leur épaisse fumée noire pendant toute la traversée du tunnel. Un toueur est un bateau-treuil qui se tire lui-même à l’aide d’un câble fixé à terre. Il fonctionne à la vapeur ou à l’électricité. La chaîne peut être fixée aux deux extrémités et le toueur peut avancer dans les deux sens, le long de la chaîne qui s’enroule et se déroule au passage des bobines. Sur les rivières, le toueur est plutôt équipé d’un câble fixé seulement en amont. Pour remonter le courant, le câble s’enroule sur l’énorme bobine du toueur. 

Par exemple, le canal de Saint-Quentin comporte le souterrain de Riqueval qui mesure 5,670kms de longueur creusé à même la roche de 1802 à 1810 à la demande de Napoléon 1er. Au début du XIXème siècle, il fallait huit hommes pour tirer une péniche d’un bout à l’autre du souterrain. Ils mettaient 12 à 14 heures pour traverser ce tunnel dans l’obscurité. Aujourd’hui, les péniches transitent, moteurs éteints, tirées par un toueur, bateau treuil électrique, alimenté par un courant continu de 600 volts. Le toueur se déplace à 2,5km/h en se halant à l’aide d’une chaîne fixée au fond du canal. Lorsqu’on va dans le sens du courant, il suffit de le laisser se dérouler.

 Le long des canaux, le halage traditionnel reste le seul moyen de tirer une péniche jusqu’à la fin du XIXème siècle. On voit ensuite apparaître le halage mécanique sur les berges des canaux, avec l’installation de tracteurs à vapeur, puis de locomotives à vapeur sur rails, d’engins sur pneus, de tracteurs électriques et enfin de tracteurs à moteur. Leur vitesse est de 4-5km/h. Apparait  également l’aéropropulsion avec une hélice hors de l’eau. Mais cette méthode ne marche pas

L’introduction du moteur a modifié l’architecture de la péniche. La cabine est passée à l’arrière. La barre franche a laissé la place à la barre à roue (le « macaron ») qui permet de diriger le bateau par un système d’arbre à transmission jusqu’au safran. Le capitaine peut désormais piloter sa péniche depuis un espace couvert : la timonerie. La réduction du gouvernail est compensée par la force du moteur

https://www.youtube.com/watch?v=H5jam63n-ds

Au cours du XIXe siècle, les voyages sont de plus en plus nombreux, de plus en plus longs et le marinier va vivre à bord de sa péniche. Comme son métier le nourrit difficilement, le petit marinier, par mesure d’économie, travaillera en famille. Son épouse ou l’aîné des enfants le seconde à la barre. Lorsque les enfants sont trop jeunes, un mousse est engagé.

Dans les régions de canaux, les mariniers sont appelés, d’une manière peu poétique, les « chie dans l’eau » par les sédentaires. Pour ceux qui naviguent sur les mers et les océans, ils ne sont que des « marins d’eau douce », terme, lui aussi chargé de mépris. Les mariniers forment, on l’aura compris, un monde fermé et se marient entre eux. Certains sont employés par une compagnie ou une entreprise dont ils livrent les produits : une mine, une tuilerie, une scierie… Les autres font des voyages plus ou moins longs, au gré des engagements, et mènent une grande partie de l’année une vie nomade.

Le courrier d’un marinier porte l’adresse d’une écluse avec, sur l’enveloppe, cette mention : « Si déjà passé, faire suivre ». La lettre est alors confiée à un autre marinier allant dans la même direction…

Beaucoup de bateliers se nourrissent de hérissons qu’ils capturent sur les berges et de poissons pêchés dans les canaux. Ils sont en outre braconniers et posent des pièges à proximité des lieux où ils s’amarrent pour passer la nuit. A bord, le logement est à l’arrière. Sur les anciennes péniches du XIXe siècle, le logement se réduit à une petite pièce, la timonerie, véritable cabane munie d’un poêle, qui sert de chambre à toute la famille et de cuisine. L’espace d’habitation a toujours été limité au profit des marchandises.

Dans les années 1960, le logement se composera de trois pièces : cuisine, séjour et chambre. Dans la chambre, un rideau délimite le coin des enfants de celui des parents. Le mobilier, comme le parquet, est en chêne. Les meubles sont fixés et la vaisselle placée dans des logements. Le vieux fourneau à bois et charbon a été remplacé par une cuisinière à gaz butane. Le chauffage central est apparu, utilisant l’eau de refroidissement du moteur. La marinière est généralement fière de son intérieur bien entretenu et bien ciré et exige qu’on utilise des patins.

Le plus souvent, les mariniers possèdent des animaux à bord : des poules, des lapins, des pigeons et certains ont même une chèvre qui leur donne du lait. La vie quotidienne des bateliers se déroule sur leur péniche : les dimanches et jours fériés se passent, entre mariniers, à l’amarrage d’une écluse. A l’écluse où se trouve généralement une petite épicerie et un débit de boissons sans licence.

Les mariages se font à bord. La famille et les amis, tous mariniers en règle générale, ont choisi un transport qui leur permet d’être présents le jour dit à la fête. Parents et amis ont décoré la péniche de guirlandes en papier et de fleurs.

Lorsqu’un marinier meurt, un crêpe noir est accroché à une perche. Les autres bateliers font une halte et l’accompagnent au cimetière du lieu.

La vie des enfants

Les accouchements se passent à bord de la péniche et chaque naissance est déclarée à la mairie la plus proche. Dans une famille, chacun peut être né dans une commune différente, toujours située au bord d’un fleuve ou d’un canal.

Un enfant, généralement né sur la péniche, va également y faire ses premiers pas. Vu le danger que représente l’environnement fluvial, dès que l’enfant est capable de se déplacer, ses parents le munissent d’un harnais de sécurité : une ceinture de cuir munie de bretelles. Une longe, reliée au dos du harnais est attachée à un point fixe. Ainsi, lorsque ses parents sont occupés, l’enfant ne risque pas la noyade. Lorsqu’il commence à marcher, la longe est accrochée à la corde d’étendage du linge et peut coulisser. Un petit marinier apprend ainsi à gambader en toute sécurité sur les écoutilles. A l’apogée de la batellerie, la scolarité obligatoire n’existait pas ou se mettait en place. Ensuite, les enfants de mariniers ont toujours eu une scolarité très perturbée.

Il existe des internats où les enfants restent toute la semaine ou plus, lors de voyages plus longs. Pour beaucoup, les périodes de scolarisation correspondent aux arrêts pour cause d’intempéries, de chômage ou de problèmes techniques. Plus de la moitié d’entre eux n’étaient pas scolarisés et, de toute manière la scolarité était sporadique : quelques jours passés dans une école, jamais la même. Beaucoup de parents enseignaient cependant des rudiments de lecture et de mathématiques à leurs enfants.

Les mariniers naviguent sans relâche lorsque le temps le permet. Les temps d’arrêt étant le passage des écluses, les chargements et les déchargements. L’arrêt est imposé par le manque d’eau l’été, les crues de printemps et d’automne ou la glace en hiver.

En période de chômage ou de morte saison, le marinier exerce généralement un second métier : souvent dans un chantier de construction navale ou, selon les régions comme scieur de long ou bûcheron. A bord, le batelier doit savoir tout faire : entretenir et réparer le bateau, le matériel, les cordages…

La marinière s’occupe du ménage du logement, cuisine, fait la lessive dans un baquet de bois et surveille les minots. Les plus âgés des enfants secondent, eux aussi, le marinier. Les plus jeunes, à l’arrêt, ou lors d’une remontée lente, ramassent sur les berges de l’herbe pour les lapins.

Langage des mariniers

Les mariniers sont les marins de commerce de l'eau douce. Même si le côté artisanal du métier est en déclin, le langage de la batellerie est riche. Le comprendre est le moindre des hommages que l'on puisse rendre à ceux qui nous ont précédé sur les voies fluviales.

La batellerie nourrit pas mal de fantasmes et d'idées reçues chez les gens d'à terre. Le métier consiste à transporter du fret d'un point à un autre des voies fluviales. Les bateaux de grand gabarit sont désormais le plus souvent exploités par des armateurs, mais le transport fluvial artisanal n'a pas complètement disparu.

Un métier familial

La batellerie traditionnelle s'exerçait le plus souvent en famille. Le couple vivait dans le logement, en arrière de la salle des machines. Si un matelot devait séjourner à bord, il logeait dans le pic avant. Le rythme de vie des marinierssuivait celui des affrètements. Le patron en attente de fret se rendait à la bourse d'affrètement pour prendre son tour. Les voyages y étaient proposés aux bateaux vides, que le marinier pouvait accepter ou refuser. On privilégiait bien sûr les destinations à partir desquelles il était probable de trouver du fret de retour.

Le macaron de la marquise

Cette organisation était souvent bousculée par l'arrivée des enfants qui devaient être scolarisés à terre dans la famille, ce qui poussait les mariniers à privilégier des voyages qui permettaient de passer régulièrement dans la région. Les mariniers sont des gens du voyage. Comme leurs cousins terrestres, ils forment de véritables dynasties et les mariages d'un bateau à l'autre sont fréquents. Ils éprouvent un sentiment profond de vivre différemment et leur mode de vie est en butte aux mêmes à-priori que celui des autres nomades. Dans la marquise(la timonerie), le patron est au macaron (la barre à roue), tandis que son épouse joue le plus souvent le rôle de matelotfilant les amarres aux écluses et profitant des longs biefs pour les autres tâches du bord.

Le chargement des cales

Mais la navigation n'est pas tout, le bateau est avant tout un engin de transport et un 38 mètres peut charger 350 tonnes de fret dans ses cales. Lors des chargements, le marinier déploie la grue pour empiler les panneaux d'écoutillesur les denbords (les hiloires) de manière à ouvrir les cales. Lors du chargement, il préfère s'amarrer sur des ducs d'albe (poteaux à distance de la rive), pour que l'enfoncement ne lui fasse pas toucher le plafond (le fond du canal). Ceux qui doivent naviguer a vide, ballastent la cale arrière à l'eau pour enfoncer l'hélice et éviter qu'elle n'aspire de l'air.

Moïse garde la banane

Même si l'eau affleure les plat-bords, la navigation est nettement plus facile lorsque le bateau est chargé. Le fardage, la prise au vent, est moindre. Dans les passages difficiles, le marinier fait l'haï, c'est à dire qu'il utilise les contre-courants. A l'approche des écluses, il suit le Moïse, la charpente de bois qui évite au bateau d'être dépalé par un courant latéral. Le principal risque serait alors de bananer le bateau. Un accident qui advient lorsque le bateau est partiellement entré dans le bassin de l'écluse et qu'une force latérale le tord. Dans les cas extrêmes, le bateau courbé ne parvient plus à passer entre les bajoyers de l'écluse.

En cale pour le plan de sondage

Régulièrement le bateau doit passer en cale-sèche. Le bassin de la cale de radoub est vidé de son eau et le bateau se pose sur des tins. En se glissant dessous, un expert dresse un plan de sondage en mesurant l'épaisseur de tôle restant sur les fonds qui s'usent par ragage. L'entretien courant est assuré à flot pendant les chômages à l'aide du bachot, l'annexe ou bateau de servitude. Ces périodes où l'on ne navigue pas sont aussi l'occasion de se retrouver à coupleavec les amis ou la famille, voire de participer aux fêtes de la batellerie comme le Pardon des mariniers à Saint-Jean-de-Losne.

La batellerie artisanale est en très fort déclin et de nombreux bateaux sont devenus des établissements flottants fixes ou des bateaux logement. Parfois il a fallu les recouper pour les adapter au gabarit des écluses. A Toulouse, on voit ainsi plusieurs bateaux raccourcis d'un tronçon, lui-même utilisé comme atelier d'artiste. Les nouveaux propriétaires ont souvent gardé la devise (le nom) d'origine. De leur côté, les anciens mariniers ne perdent pas une occasion de naviguer et assurent très volontiers les convoyages pour qui les sollicite.

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